Un pur esprit s'accroît sous l'écorce des pierres ( 2021 - 2022)

A pure spirit grows beneath the bark of stones

Un pur esprit s’accroît sous l’écorce des pierres présente des travaux photographiques résultant de mes recherches au New York State Museum à Albany, dans l’État de New York. L’exploration détaillée au sein de la Collection de Paléobotanique a permis à Amélie Labourdette la saisie photographique de vestiges fossiles des plus anciennes forêts sur Terre trouvés à Gilboa et à Cairo datant du Dévonien Moyen (385 millions d’années). Conjointement à cette exploration dans les réserves du muséum, sa recherche s’est enrichie d’un travail photographique réalisé au cœur de plusieurs forêts contemporaines en France et aux États-Unis.

A pure spirit grows beneath the bark of stones presents photographic works resulting from my research at the New York State Museum in Albany, NY. Detailed exploration within the Paleobotany Collection enabled Amélie Labourdette to photograph fossil remains of the oldest forests on Earth found in Gilboa and Cairo dating from the Middle Devonian (385 million years ago). Alongside this exploration of the museum's reserves, her research has been enriched by photographic work carried out in the heart of several contemporary forests in France and the United States.

Vestiges fossiles de la plus ancienne forêt sur Terre trouvés à Gilboa et à Cairo dans l'État de New York, datant du Dévonien moyen, soit 385 millions d'années. Collection de paléobotanique, New York State Museum, à Albany, État de New York.

Fossil remains of the oldest forest on Earth found in Gilboa and Cairo in New York State, dating from the Middle Devonian period, 385 million years. Paleobotany Collection, New York State Museum, in Albany, New York State

Photogarphies réalisées dans diverses forêts contemporaines en France et aux États-Unis ( État de New-York).

Photogarphies carried out in various contemporary forests in France, and the United States ( State of New-York).

TEXTE FRANÇAIS

Un pur esprit s’accroît sous l’écorce des pierres1 présente des travaux photographiques résultant des recherches d’Amélie Labourdette au New York State Museum à Albany, dans l’État de New York. L’exploration détaillée au sein de la Collection de Paléobotanique lui a permis la saisie photographique de vestiges fossiles des plus anciennes forêts sur Terre trouvés à Gilboa et à Cairo datant du Dévonien Moyen (385 millions d’années). Conjointement à cette exploration dans les réserves du muséum, sa recherche s’est enrichie d’un travail photographique réalisé au cœur de plusieurs forêts contemporaines en France et aux États-Unis.

Cette série s’articule autour de la mise en écho de deux corpus d’images, chacune étant la matérialisation photographique d’une temporalité plus qu’humaine – l’une témoignant de la mémoire ancestrale de la forêt originelle, l’autre révélant le spectre vibrant de forêts contemporaines – chacune se réverbérant dans l’autre. Elle cherche à faire reconnaître un esprit agissant dans chaque strate de la nature –  ici végétale et minérale – qui relativise toute supériorité ontologique de l’humanité. Et elle s’inscrit dans le sillon des recherches actuelles concernant la Jurisprudence de la Terre pour laquelle il est question d’étendre le politique au niveau du Cosmos-Politique, de prendre en compte les non-humains comme Sujets de droits au sein des sphères politiques et juridiques dans un “parlement élargi”.

Le premier corpus dévoile l’empreinte de la mémoire végétale de la plus ancienne forêt sur Terre datant du Dévonien Moyen, transmuée du végétal au minéral au sein de fragments fossilifères trouvés dans les Catskills. D’après l’Hypothèse des Plantes du Dévonien développée en Paléobotanique, le processus d’afforestation de la Terre par ces premiers écosystèmes forestiers, eu des conséquences considérables sur la dynamique du système terrestre, incluant la transformation de la géomorphologie des sols, l’évolution de l’atmosphère et du climat et l’expansion connexe de la biodiversité terrestre. Tel des revenants, les spectres minéralisés et charbonneux des forêts primordiales émergent des tréfonds du passé et reviennent aujourd’hui nous hanter pour nous rappeler que le monde au sein duquel nous vivons, nous humains, n’aurait pu exister sans leurs présence. Le second corpus se fait l’incarnation d’une vibration fossile, survivance d’un “esprit ancestral“ qui se manifeste au cœur des forêts du présent. Matérialiser la vibration de cette mémoire végétale originelle est consubstantielle à l’expérience de cette “chair du monde“2, vécue au sein de différentes forêts : une expérience reliant corps et esprit, sensibilité aux fréquences vibratoires des lieux et visions – l’œil intérieur – ouverte au tangible et à l’intangible.

Les arbres sont actifs sur le plan électromagnétique, émettant et recevant des signaux. Ils peuvent agir comme des antennes. Ils captent, absorbent et émettent des fréquences électromagnétiques ultra-basses comprises entre 4 et 7 Hertz. La Terre elle-même possède une fréquence vibratoire mesurable, connue sous le nom de résonance de Schumann, dont la fréquence fondamentale est de 7,83 Hz. Les chercheurs ont constaté que les pulsations électromagnétiques des arbres se synchronisent avec les pulsations géomagnétiques du noyau terrestre et sont en corrélation avec les ondes cérébrales humaines. En présence d’arbres, comme dans les forêts, les ondes cérébrales humaines se synchronisent avec la fréquence de 7,83 Hz, produisant un état de conscience modifié, un état méditatif ou créatif (correspondant aux ondes cérébrales thêta et alpha). Je pense avoir saisi intuitivement cette fréquence vibratoire originelle, à la fois dans mes tripes et au plus profond de mon esprit (vision intérieure). Ce sont ces fréquences que j’ai essayé de traduire de manière sensible et visuelle dans ce travail photographique.

Le procédé d’impression en Piézographie sur papier Japon dont les encres sont composées de pigments noir de charbon, donne à la matière photographique une présence à la fois dense et irradiante. Ces tirages évoquent les expériences des pionniers de la photographie qui pour certains tentèrent d’enregistrer des “apparitions spectrales“. Dans le miroitement irisé et la densité des encres charbonneuses des tirages surgit la vibration d’une mémoire archaïque végétale. Le charbon n’est-il pas le résultat de la décomposition partielle de la matière organique des forêts primordiales, une transformation alchimique qui prend des millions d’années pour passer du végétal au minéral ? La matérialité même de ces tirages réalisés avec le corps mort transmuté de ces forêts originelles, garde enclos leur spectre mémoriel.

Un pur esprit s’accroît sous l’écorce des pierres est alors pensé comme le corps mémoriel et vibrant – en couches subtiles entrelacées – de la forêt.

1 Vers de Gérard de Nerval extrait du poème, Vers dorés.

2 Le Visible et l’invisible / Maurice Merleau-Ponty, publié par Cl. Lefort, Gallimard, 1964

ENGLISH TEXT

A pure spirit grows beneath the bark of stones1 presents photographic works resulting from Amélie Labourdette's research at the New York State Museum in Albany, New York. Detailed exploration within the Paleobotany Collection has enabled her to photograph fossil remains of the oldest forests on Earth found in Gilboa and Cairo dating from the Middle Devonian (385 million years ago). Alongside this exploration of the museum's reserves, her research has been enriched by photographic work carried out in the heart of several contemporary forests in France and the United States.

This series revolves around the echoing of two bodies of images, each the photographic materialization of a more-than-human temporality - one testifying to the ancestral memory of the original forest, the other revealing the vibrant spectrum of contemporary forests - each reverberating in the other. It seeks to recognize a spirit at work in every stratum of nature - in this case plant and mineral - that relativizes any ontological superiority of mankind. And it is in line with current research into Earth Jurisprudence, which seeks to extend the political to the level of the Cosmos-Political, to take non-humans into account as Subjects of Rights within the political and legal spheres in an "enlarged parliament".

The first corpus reveals the imprint of the plant memory of the oldest forest on Earth dating from the Middle Devonian, transmuted from plant to mineral within fossil fragments found in the Catskills. According to the Devonian Plant Hypothesis developed in Paleobotany, the process of afforestation of the Earth by these early forest ecosystems had far-reaching consequences for the dynamics of the Earth system, including the transformation of soil geomorphology, the evolution of the atmosphere and climate, and the associated expansion of terrestrial biodiversity. Like ghosts from the past, the mineralized, charcoal spectres of primordial forests emerge from the depths of the past and return to haunt us today, reminding us that the world we humans live in could not have existed without them. The second corpus is the embodiment of a fossil vibration, the survival of an "ancestral spirit" that manifests itself at the heart of present-day forests. Materializing the vibration of this original plant memory is consubstantial with the experience of this "flesh of the world"2, lived in the heart of different forests: an experience linking body and mind, sensitivity to the vibratory frequencies of places and visions - the inner eye - open to the tangible and the intangible.

Trees are electromagnetically active, transmitting and receiving signals. They can act like antennae. They pick up, pass through, and emit ultra-low electromagnetic frequencies between 4 and 7 Hertz. The Earth itself has a measurable vibrational frequency, known as the Schumann resonance, with a fundamental frequency of 7.83 Hz. Researchers have found that the electromagnetic pulsations of trees synchronise with the geomagnetic pulsations of the Earth's magnetism and correlate with human brain waves. In the presence of trees, as in forests, human brain waves synchronise with the frequency of 7.83 Hz, producing a modified state of consciousness, a meditative or creative state (corresponding to theta and alpha brain waves). I think I intuitively grasped this original vibratory frequency, both in my gut and in the depths of my mind (inner vision). These frequencies are what I have tried to translate sensitively and visually in this photographic work.

The Piezography printing process on Japanese paper, with inks composed of coal-black pigments, gives the photographic material a presence that is both dense and radiant. These prints evoke the experiments of the pioneers of photography, some of whom attempted to record "spectral apparitions". In the iridescent shimmer and dense charcoal inks of these prints, the vibration of an archaic vegetal memory emerges. Isn't charcoal the result of the partial decomposition of organic matter in primordial forests, an alchemical transformation that takes millions of years to go from vegetable to mineral? The very materiality of these prints, made from the transmuted dead bodies of these primeval forests, retains their memory spectrum.

A pure spirit grows beneath the bark of the stones is seen as the vibrating, memorial body of the forest - in subtle, interwoven layers.

1 Verse by Gérard de Nerval from the poem Vers dorés.

2 Le Visible et l'invisible / Maurice Merleau-Ponty, published by Cl. Lefort, Gallimard, 1964


EXPOSITION Un pur esprit s’accroît sous l’écorce des pierres à la Galerie Michel Journiac

TEXTE FRANÇAIS

En poursuivant le désir de conférer une présence sensible aux entités des forêts primordiales de Gilboa et de Cairo, ainsi qu’aux entités multiples de nos forêts contemporaines, Un pur esprit s’accroît sous l’écorce des pierres cherche à leur donner « corps » mais également à les investir de « voix » et de « récits ». Dans cette visée, le projet porte une attention particulière à l’écriture de récits formulés à la première personne, dont les narrateurs sont précisément ces entités naturelles. 

Pour cela, j'associe la photographie à l'écriture et au son, et pour l'exposition Un pur esprit s’accroît sous l’écorce des pierres à la Galerie Michel Journiac en novembre 2021, j'ai invité quatre autres artistes à collaborer.

Maïtéa Miquelajauregui présente au sein de l’exposition son projet sonore MOHO dont l’intention est de nous faire ressentir les activités sismiques de la Terre et qui constitue un écosystème sonore général au sein de l’exposition. Le projet MOHO propose selon Maïtéa Miquelajauregui, « d’appréhender notre planète comme un être vivant avec des rythmes qui pourraient s’apparenter à un rythme cardiaque. Cette planète dont nous faisons partie, vibre et vit. Ses vibrations dont la temporalité nous échappe, peuvent se percevoir sur certaines zones, pareils à des pouls dont le rythme peut changer suivant le territoire et son activité, souterraine. Pouvoir ressentir les activités sismiques de la terre, c’est créer une empathie avec notre planète, c’est la sentir, à travers un ensemble de vibration qui pénètre notre corps et ensemble vont s’apparier. »

Traducteurs des voix des forêts, les deux auteurs Elodie Issartel et Camille de Toledo, deviennent les intercesseurs de ces entités. 

« Nos élans sont les flèches de votre avenir » mis en poème par Elodie Issartel et mis en voix par Marie-Bénédicte Cazeneuve convie les spectres des forêts primordiales de Gilboa et Cairo, leur témoignage nous rappelant comment elles ont changé le visage de la Terre et comment le monde au sein duquel nous vivons, n’aurait pu exister sans leur présence. 

En outre, l’installation « Le discours des forêts européennes devant les Nations unies en 2025 » de Camille de Toledo déploie un récit, celui d’un « soulèvement légal de la Terre », en convoquant les voix des forêts contemporaines, leur donnant la possibilité de s’exprimer et de défendre leurs intérêts à travers un système de représentation inter-espèces..

Dans l’esprit du gesamtkunstwerk, l’exposition forme un écosystème de corps et de voix, elle s’inscrit dans le sillon des recherches actuelles concernant la Jurisprudence de la Terre pour laquelle il est question d'étendre le politique au niveau du Cosmos-Politique, de prendre en compte les non-humains comme Sujets de droits dans un « parlement élargi ».

EXHIBITION A pure spirit grows beneath the bark of stones at the Galerie Michel Journiac

ENGLISH TEXT

Pursuing the desire to confer a sensitive presence to the entities of the primordial forests of Gilboa and Cairo, as well as to the multiple entities of our contemporary forests, A pure spirit grows beneath the bark of stones seeks to give them “body” but also to invest them with “voices” and “narratives. With this in mind, the project pays particular attention to the writing of narratives formulated in the first person, whose narrators are precisely these natural entities.

To do this, I combine photography with writing and sound, and for the exhibition A pure spirit grows beneath the bark of the stones at the Galerie Michel Journiac in November 2021, I invited four other artists to collaborate.

Maïtéa Miquelajauregui presented her sound project MOHO, whose intention is to make us feel the seismic activities of the Earth and which constitutes a general sound ecosystem within the exhibition. According to Maïtéa Miquelajauregui, the MOHO project proposes “to apprehend our planet as a living being with rhythms that could be similar to a heartbeat. This planet of which we are a part, vibrates and lives. Its vibrations, whose temporality escapes us, can be perceived in certain zones, similar to pulses whose rhythm can change according to the territory and its activity underground. To be able to feel the seismic activities of the earth, is to create an empathy with our planet, it is to feel it, through a set of vibration which penetrates our body and together will be paired.”

Translators of the forest voices, the two authors Elodie Issartel and Camille de Toledo, became the intercessors of these entities. 

"Nos élans sont les flèches de votre avenir" ("Our impulses are the arrows of your future") put in poem by Elodie Issartel and put in voice by Marie-Bénédicte Cazeneuve invites the specters of the primordial forests of Gilboa and Cairo, their testimony reminding us how they have changed the face of the Earth and how the world in which we live, could not have existed without their presence. 

In addition, the installation “The Speech of European Forests to the United Nations in 2025” by Camille de Toledo unfolds a narrative, that of a “legal uprising of the Earth”, summoning the voices of contemporary forests, giving them the opportunity to express themselves and defend their interests through a system of interspecies representation.

In the spirit of the gesamtkunstwerk, the exhibition forms an ecosystem of bodies and voices, in line with current research into the Jurisprudence of the Earth, which aims to extend the political to the level of the Cosmos-Political, to include non-humans as subjects of rights in an "enlarged parliament".

Le poème d'Elodie Issartel "Nos élans sont les flèches de votre avenir" mis en voix par Marie-Bénédicte Cazeneuve , convie les voix des spectres des forêts primordiales de Gilboa et de Cairo. Écouter ci-dessous ( version française):

Elodie Issartel's poem "Nos élans sont les arèches de votre avenir", set to voice by Marie-Bénédicte Cazeneuve, summons the voices of the spectres of the primordial forests of Gilboa and Cairo. Listen below (French version):

Pour imaginer la voix des forêts du Dévonien, il ne s’agissait pas d’écrire un texte de vulgarisation scientifique sur cette période, ni de proposer une ekphrasis redondante des images que l’on verra à l’exposition. Ce qui a orienté le choix vers une forme poétique est la finalité sonore du texte mis en voix par la comédienne Marie-Bénédicte Cazeneuve, performé lors du vernissage puis écouté au casque par les visiteurs. Le poème semble évident pour porter la voix des arbres primitifs qui s’adressent à nous et se racontent. C’est Caïro, la plus ancienne forêt qui prend en charge ces voix et parle au nom des autres : Gilboa, les forêts contemporaines et les fossiles retrouvés sur les sites de l'État de New-York.

Cette voix sonne et nous interpelle, nous émeuve et nous informe à la fois sur son essence et l’importance de ce qu’elle incarne : une passerelle entre le proche et le très lointain, une ritournelle et une alerte, un accompagnement et une mise en garde.